lundi 5 avril 2010

Ne pas mentir...


Dans un immeuble du quartier de Vaké, au quatrième étage, dans une école primaire, Anton Balanchivadze travaille dans une pièce qui lui est reservée. Son atelier, qui domine la ville est une sorte de taverne où les tableaux, les sculptures se mélangent avec ces nombreuses bouteilles de bières reconverties en pot de peinture. Je reconnais alors certaines oeuvres qui avaient été présentées lors de la dernière exposition "Red". D'ailleurs, une femme viendra acheter l'un de ses tableaux à la fin de notre entretien.


Anton Balanchivadze, un jeune artiste de 32 ans, me livre donc ses pensées, ses reflexions, sa vision de l'art aujourd'hui à Tbilissi, mais aussi de manière plus générale. Issu d'une famille d'artistes, très jeune il a été attiré par la peinture. Pourtant, ses parents le poussent d'abord vers la musique, le piano. Mais il sent que c'est par la réalisation de tableaux qu'il pourra être meilleur, s'exprimer totalement. Ainsi dès l'adolescence, il travaille dans le studio de Karaman Kutateladze, artiste géorgien reconnu dans son pays et à l'étranger. Il séjourne dans sa villa d'artistes dans la campagne géorgienne à Garikula et peu à peu son style s'affirme et est apprécié.

L'artiste est actuellement exposé à Vienne et à Londres, et au début du mois de juin, certaines de ses oeuvres seront exposées au Carrousel du Louvre à Paris.

Lorsqu'il parle de ses oeuvres, Anton Balanchivadze tente d'expliquer et de comprendre d'où lui sont venues ses inspirations. Ainsi, c'est par la couleur qu'il pense son art, car selon lui chaque couleur porte en elle une signification qui lui est propre, le rouge exprimera une humeur, un drame ou un instant plein de vie, et il utilisera plutôt le vert pour créer une forme, un mouvement. Anton Balanchivadze admet réfléchir longuement avant de se lancer dans une nouvelle oeuvre, mais il se refuse à penser à ce qu'il peint lorsqu'il l'exécute; ce serait mentir... Ainsi, lorsque l'on observe les toiles d'Anton Balanchivadze on est frappé par ses larges aplats de couleurs vives et ses figures naïves déformant la réalité.
En effet, Anton refuse un style trop académique qui devrait représenter la réalité telle que l'on la voit.


Quand on lui parle de l'art contemporain, Anton Balanchivadze se montre assez critique envers les artistes occidentaux qu'il estime être toujours à la recherche de performances, de nouveautés... et donc de mentir à ceux qui les observent. En effet, pour lui on ne peut pas créer la nouveauté, y réfléchir et la faire naître, non selon lui la nouveauté vient par hasard. A ce titre, il admire Dali qui " ne faisait pas une nouvelle peinture surréaliste, il était surréaliste!"

Puis, pour terminer notre entretien, Anton Balanchivadze me parle de Pirosmani, ce célèbre peintre géorgien à la peinture naïve et exotique. Il me décrit l'homme comme affranchi de la société, des pressions sociales pour s'exprimer librement, car l'art doit permettre à chacun de parler d'échanger. Selon lui, l'art est comme un prétexte, "Art is a reason to talk together"

www.antonbalanchivadze.com

mardi 23 mars 2010

"Red"


Maka Batiashvili

Une couleur, une exposition. Le 18 mars 2010 à la galerie 9 de Tbilissi, six artistes se sont réunis autour du même thème, d'un même fil rouge... six jeunes artistes géorgiens s'exprimant autour d'une couleur, le rouge. Chacun selon ses inspirations, ses sensibilités, son style a interprété de manière personnelle cette contrainte pour se l'approprier et s'exprimer aux yeux du public.


Anton Balanchivadze

Le rouge associé généralement au sang, à la violence, à la dureté posait une contrainte forte aux artistes. Pourtant, de nombreuses œuvres présentées lors de cette exposition ne reflètent pas ou peu cette violence attendue par le spectateur lorsqu'il entre dans la galerie. Au contraire, le rouge est représenté et perçu comme une couleur qui reflète l'importance du quotidien. En effet, chaque évènement marquant de la vie trouverait sa force dans la couleur rouge. Le rouge pour signifier la portée, la puissance d'un instant, comme aspiration des artistes.


Anton Balanchivadze

Ainsi, chacun avec sa propre créativité utilise le rouge à sa manière. Le rouge comme thème devient le décor d'une toile ou le sujet d'une autre. Chez l'un, il est utilisé exclusivement pour focaliser l'attention sur sa force de représentation, tandis que chez un autre, toutes nuances du rouge sont utilisées pour développer la palette de cette couleur. Des touches et des factures distinguées proposent au spectateur des interprétations et des représentations multiples de ce thème si vaste et si particulier à saisir.


Nino Moseshvili

Dans cet exercice périlleux, Maka Batiashvili se pose sans doute comme la plus pertinente. Avec son style si particulier, peignant ses personnages au trait noir et aux aplats de couleurs rouges, elle laisse vierge le fond de sa toile, faisant ressortir ainsi son sujet et sa couleur. De plus, sa composition demeure originale, personnelle et foncièrement moderne, à l'inverse, peut-être des autres artistes qui l'entourent conservant un style et des sujets plus classiques.

Pourtant, cette exposition présente un intérêt certain , elle met en scène autour d'une couleur difficile à manier différents artistes géorgiens, permettant au visiteur de saisir quelques éléments de la scène artistique de Tbilissi.

Une couleur pour la sensibilité, les sentiments que Maka Batiashvili définit ainsi dans un court texte présentant ces différentes toiles:
"Red is an emotion I've always kept hidden
I've spent my life hidding it behind other colors
Red is the most extrem form from there is for expressing life
but I was brave enough to attempt to fight against it."

Maka Batiashvili, "Ten Brave Steps"


Maka Batiashivili

jeudi 11 mars 2010

Entre naïveté et engagement...

Durant le mois de février 2010, la galerie Vernissage dans le centre de Tbilissi a présenté les œuvres d'un artiste géorgien, Dato Gagoshidze. Cet homme peint d'une manière qu'il revendique très personnelle, ne se réclamant d'aucun courant artistique ou héritier d'aucun artiste géorgien (ou étrangers, d'ailleurs).


"Le bord de la rivière"

Le style unique de Dato Gagoshidze est donc particulièrement mis en valeur dans cette exposition qui compte en environ une vingtaine de toiles ou miniatures. En effet, chaque tableau de l'artiste est empreint d'une naïveté certaine, renforcée par l'utilisation d'une palette vive et multicolore. Dato Gagoshidze affirme peindre d'une manière totalement spontanée, sans pouvoir expliquer rationnellement d'où lui vient cette inspiration. Peignant surtout des portraits ou des scènes du quotidien, il ne se considère pas comme un artiste engagé.
Pourtant, au sein de sa dernière exposition, deux toiles ont une véritable portée politique, s'intitulant toutes deux "L'Occupant". La première représente une population civile se retrouvant face à un char d'où l'on note de nombreuses armes se pointant vers cette population civile. Malgré son sujet grave, faisant référence à l'occupation soviétique puis à la guerre face à la Russie, Dato Gagoshidze utilise cette même palette de couleurs qui surprend le spectateur. Pourtant ce contre-emploi renforce le message du tableau en le rendant plus exceptionnel et en l'invitant ainsi à s'interroger plus profondément sur le propos de l'artiste. Parallèlement à cette première œuvre, une deuxième évoque le thème de l'occupation, mais dans un style plus conventionnel et donc plus différent des autres toiles de l'auteur. En effet, Dato Gagoshidze n'utilise ici qu'une palette extrêmement réduite, se limitant au noir, gris et rouge. Ce style quasi-monochromatique et cette touche plus fine reflète parfaitement la misère et la difficulté de vivre au quotidien. La multiplication des visages sans corps renforce cette impression d'oppression que ressent le spectateur face à cette toile, qui n'est pas sans rappeler certaines œuvres de Picasso s'engageant contre la guerre et les dictatures.


"L'Occupant"

Dato Gagoshidze a étudié à l'Académie des Arts de Tbilissi, après avoir fait des études de géographie et travaillé pendant trois à la restauration de fresques médiévales. En effet, pendant la période soviétique, une personne souhaitant commencer de nouvelles études devait travailler d'abord pendant trois ans pour être accepté dans une nouvelle faculté. Il décide alors au milieu des années 1980 de travailler sur les nombreuses fresques abimées par le temps que compte la Géorgie. D'ailleurs, certains critiques retrouveront dans la facture des toiles de Dato Gagoshidze, une similarité avec les matériaux, la texture sur laquelle il a pu travailler lors de ces restaurations et conservations.

Aujourd'hui, Dato Gagoshidze vit difficilement de son art, c'est pourquoi ponctuellement, il reprend son métier de restaurateur de fresques pour arrondir ses fins de mois. Pourtant, de nombreuses expositions lui ont été consacrées, à Tbilissi mais aussi à l'étranger comme en France où une grande partie de ses toiles se trouvent au sein de collections privées...

lundi 8 mars 2010

Dans l'atelier de Maka Batiashvili...



Rencontre(s)


"8h", sa toile préférée, inspirée d'elle même dormant avec sa fille lors d'un voyage à Berlin

Dans le quartier de Véra, dans son petit atelier, Maka BATIASHVILI peint, la nuit, dans le calme. Cette artiste géorgienne née en 1975 a pu faire de la peinture son métier, bien que cela n'est jamais été une vocation. Au contraire, c'est petit à petit, en constatant le succès de ses toiles qu'elle est devenue "artiste professionnelle".

Comme beaucoup d'artistes de Tbilissi, elle a effectué ses études à l'Académie d'Art de la capitale au début des années 1990. Mais, alors que la Géorgie découvre son indépendance et est déchirée par la guerre civile, l'Académie est plutôt un lieu de rencontre qu'un lieu d'apprentissage, professeurs souvent absents et électricité rare. A 17 ans, lors d'une vente aux enchères à la Maison du Caucase de Tbilissi, Maka BATIASHVILI vend sa première toile, une femme à moitié nue qui ressemblera peu aux toiles qu'elle réalisera plus tard. Sa carrière artistique démarre véritablement quelques années plus tard, lorsqu'un Américain découvre sur internet son travail et se déplace expressément à Tbilissi pour lui acheter trois toiles. Ce mécène reviendra plusieurs fois et possède d'ailleurs une grande partie de l'art de Maka BATIASHVILI.


"L'eau"

Même si elle réalise quelques vidéos pour certaines expositions, l'activité principale de Maka reste la peinture. Elle peint donc ces scènes du quotidien et ses personnages caractéristiques. Leurs visages restent souvent similaires, d'ailleurs elle considère qu'ils s'inspirent d'elle-même et de sa fille. L'inspiration de ces peintures, comme elle l'explique, vient de l'observation perpétuelle de ce qui se passe autour d'elle. Maka est sans cesse à l'affut d'un nouveau sujet lorsqu'elle marche dans les rues de Tbilissi ou quand elle se promène dans la campagne géorgienne. Ainsi, chacune de ses toiles évoque un instant saisi qu'elle aura observé auparavant. Ces scènes, jamais elle ne les retranscrit à l'identique, elle pense, réfléchit et s'approprie ... pour en faire une représentation unique.
Malgré des couleurs utilisées parfois assez sombres, une vrai douceur et un calme émane de ses toiles, le peu de détails représentés et les larges aplats de couleurs focalisent l'attention du spectateur sur l'action, le thème représenté. Lors d'une exposition à Vilnius, les critiques lituaniens comparent sans cesse Maka au maître de la peinture géorgienne du début du 20e siècle, Niko PIROSMANI. Pourtant, elle rejette cet héritage, non pas qu'elle rejette le travail de Pirosmani, mais Maka considère et souhaite son travail unique, ne se réclamant pas de tel ou tel courant artistique. Elle admet bien sûr avoir ressenti une inspiration et une force puissante lorsqu'elle s'est retrouvé face à des œuvres de Michel-Ange, qu'elle considère comme terriblement contemporain.


"Sans rêve"

Depuis quelques mois, les œuvres de Maka évoluent vers des représentations plus minimalistes, en noir et blanc, comme trois autoportraits. De plus, intéressée par les peintures préhistoriques, elle travaille sur les roches de Tbilissi pour recréer ces dessins, simples, d'animaux.



En Europe, plusieurs expositions se sont déroulées depuis 2005 consacrant les toiles, ainsi que les vidéos de l'artiste. A Leipzig, Londres ou Vilnius... D'ailleurs, c'est au cours d'une exposition à Londres, qu'un auteur britannique Michael Berman lui a demandé d'illustrer ses livres. Une autre rencontre consacrant l'art de cette artiste géorgienne.


"Le pont"

Site internet: http://maka.batiashvili.net/

lundi 1 mars 2010

Lado Gudiashivili peintre onirique...


En juin 2009, la maison de vente Sotheby's vend aux enchères "Les rêveurs d'Ortachala" du peintre géorgien Lado GUDIASHVILI. Cette oeuvre de 1920, réalisée à Paris, symbolise une période caractéristique de l'oeuvre de l'artiste, celle qui dépeint la vie dans le vieux Tbilissi du début du XXe siècle.

Lado GUDIASHVILI (1896-1980) commence sa carrière de peintre à Tbilissi avant de partir pour sept ans à Paris de 1919 à 1926. Sa période parisienne est riche en rencontres et aspirations. L'artiste fréquente notamment les pionniers du mouvement rayonnisme et d'avant-garde russe tels que Larionov et sa compagne Gontcharova, il fait aussi la rencontre de Modigliani. Durant cette période stimulante où L.GUDIASHVILI doit se battre pour exister au milieu des centaines d'artistes qui évoluent dans la capitale française, le peintre développe un style mélancolique, poétique qui se veut l'héritage des traditions du vieux Caucase. En effet, dans des tableaux comme "Les rêveurs d'Ortachala" ou bien "Le Poisson" (1924), l'artiste s'attache à représenter la vie en Géorgie avec des éléments contemplatifs. D'ailleurs, le critique français Maurice Raynal déclare "Vous tomberez amoureux de la Géorgie en observant les tableaux de Lado Gudiashvili".



L'artiste produit un travail influencé notamment par le maître géorgien de la fin du XIXe siècle, début du XXe, Niko Pirosmani dont les œuvres s'attachent aussi à dépeindre les coutumes et traditions du Caucase. Mais Lado GUDIASHVILI propose un travail qui cherche à multiplier les influences pour créer son propre style caractéristique, un style alliant un héritage venu de l'Occident mêlé à des inspirations orientales. En effet, on remarque alors dans le style du peintre des influences diverses, celle du peintre italien Giotto, précurseur de l'art renaissant en Italie, mais aussi de Picasso ou de Cézanne. Mais on note aussi, notamment dans ces portraits comme "Les amis espagnols" (1922) une influence de l'art persan dans la représentation de ces visages allongés, aux yeux noirs. Enfin, il est évident que le travail de L. GUDIASHVILI est intimement lié au symbolisme par le culte de la féminité éternelle.



Dans les années 1920, alors que la plupart des artistes russes choissient l'exil pour fuir le régime soviétique, Lado GUDIASHVILI décide lui de rentrer à Tbilissi. Ainsi, après sa période parisienne, souvent considérée comme l'apogée de sa carrière, L. GUDIASHVILI retourne au pays où son style tend vers l'utilisation de couleurs plus chaudes, mais l'évolution est surtout notable dans le choix de ses sujets. L'artiste a de plus en plus recours aux figures allégoriques dans ces tableaux. En effet, on retrouve de plus en plus fréquemment pour thème central une femme géorgienne présentée comme la déesse de la Terre. Cette tendance s'explique par l'intérêt déjà présent à Paris pour le culte de la féminité comme dans le tableau "La femme verte" (1920). L. GUDIASHVILI renforce ainsi par cette nouvelle iconographie allégorique son style fantastique, irréel, poétique et mystérieux.



Parallèlement à son activité d'artiste-peintre, Lado GUDIASHVILI travaille sur des décors de théâtre mais il illustre aussi le célèbre roman du grand poète géorgien du 12e siècle, Roustavéli, "Le Chevalier à la peau de léopard". Puis, en 1946 il réalise une fresque pour l'église Kasheveti à Tbilissi. Cette réalisation, qui n'est pas du goût des soviétiques, le pousse alors à quitter son poste à l'Académie des arts de Tbilissi. De plus, Lado GUDIASHVILI réalise plusieurs séries d'œuvres anti-totalitaires qui inciteront les observateurs à la comparer à Goya.

Lado GUDIASHVILI, trop peu connu en Europe, se révèle être un artiste capable d'allier des influences venant d'ouest en est, un formidable ambassadeur de son pays natal par ses représentations traditionnelles de la vie locale, mais aussi et peut-être surtout un poète mystérieux aux représentations oniriques...